Protéger le patrimoine de Florence des turpitudes du futur grâce au numérique et aux simulations

De l’importance des nouvelles technologies pour préserver le patrimoine mondial

Quel est le point commun entre Léonard de Vinci, Michel-Ange, Machiavel, Raphaël, Galilée, Brunelleschi et Botticelli ? Ils ont tous, à un moment donné de leur vie, vécu à Florence, en Italie. Berceau de la puissante et bienfaisante famille Médicis, cette ville de la Renaissance située au bord du plus long fleuve du pays, l’Arno, est depuis longtemps un épicentre d’art et de culture dans le monde. Mais c’est aussi une source de présence forte et puissante de l’eau.

Le Ponte Vecchio a été détruit par une inondation en 1333 et reconstruit en 1345.

Le déluge de l’Arno

Vous pourrez trouver des inscriptions sur les murs de Florence qui montrent les différents niveaux d’inondation de 1177, 1333, 1547, 1557, 1740 et 1844, mais la pire inondation s’est produite en 1966, lorsque jusqu’à 200 mm de pluie se sont abattus sur le bassin versant de la rivière Arno en 24 heures – représentant un quart des précipitations annuelles de la région. Sans système d’alerte en place, 600 000 tonnes de boue, de gravats et d’eaux usées mélangées à du mazout ont inondé la ville, faisant plus de 100 morts, laissant 20 000 sans-abris et détruisant d’innombrables monuments historiques.

On trouve de nombreuses preuves de la montée des eaux et des nombreuses inondations historiques à travers tout Florence.

Mais la pire inondation a peut-être eu lieu dans le quartier le plus historique de Florence, Santa Croce, regorgeant de trésors d’art et de culture à l’intérieur de bâtiments de l’époque médiévale. La Cène de Giorgio Vasari, située à l’Opéra de Santa Croce, s’est elle-même retrouvée sous l’eau, ainsi que plus d’un million de livres et de documents historiques à la Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, la bibliothèque nationale.

L’éternel combat contre l’oubli du passé

Le monde entier s’est alors rassemblé afin de réparer les dégâts, et Franco Zeffirelli, réalisateur mondialement reconnu et originaire de Florence, a même réalisé un film à ce sujet avec Richard Burton racontant cette histoire en italien. Cet élan de solidarité a ainsi permet de récolter plus de 20 millions de dollars pour aider à la reconstruction de Florence. Mais à mesure que la date ce désastre s’éloignait, il semblait de plus en plus difficile de rassembler la communauté pour agir.

Plusieurs plans ont été proposés pour faire face à la situation au cours des 50 années qui ont suivi, et de nombreux livres ont été écrits sur l’inondation – aujourd’hui rassemblés au centre de documentation sur les inondations CEDAF – faisant de l’inondation de l’Arno peut-être l’une des inondations les mieux documentées de tous les temps. Mais comme pour tant de dangers d’inondation, avec le temps, il devient de plus en plus facile d’oublier et de se préparer à la prochaine inondation.

Mais le modeleur hydraulique Paolo Tamagnone n’a pas oublié.

« L’Italie abrite la majeure partie du patrimoine culturel mondial, mais elle possède un territoire largement soumis à un risque hydrogéologique élevé », explique Paolo Tamagnone. « Alors que la plupart des recherches sur les risques d’inondation se concentrent sur les pertes monétaires potentielles, ces coûts seraient exponentiellement plus élevés si nous adoptions une vision plus holistique et calculions les pertes du patrimoine culturel. »

Les crues pluviales des montagnes voisines peuvent rapidement saturer le fleuve Arno.

En tant que post-doctorant à l’Università degli Studi di Firenze, il a vu une opportunité d’appliquer les compétences de son domaine d’étude en modélisation hydraulique pour aider à protéger le patrimoine culturel du centre-ville des inondations pluviales. Il a ainsi proposé un vaste projet pour cartographier la zone, en particulier deux zones qu’il considérait comme particulièrement vulnérables, le complexe de monuments et la bibliothèque.

Modélisation de la crue complète avec plusieurs scénarii

Le fleuve Arno coule depuis les collines du mont Falterona des Apennins à travers Florence et se jette finalement dans la mer Ligure. La modélisation du ruissellement terrestre qui s’écoule des montagnes des Apennins vers le bassin supérieur de l’Arno est assez simple. Mais la prévision des inondations pluviales plus en aval devient plus compliquée lorsqu’il existe d’innombrables interactions à capter entre tous les phénomènes hydrauliques qui se produisent dans le réseau d’égoûts de la ville.

Ainsi, alors que le risque d’inondation le plus évident peut provenir de la proximité de la rivière, ce sont les inondations pluviales des montagnes qui aggravent le problème. Le plus grand défi pour Tamagnone était peut-être d’évaluer ce qui se passerait à l’intérieur des catacombes du réseau interne de drainage des eaux pluviales (IRDN) lorsque la rivière est pleine.

Le complexe de l’opéra, la bibliothèque et le risque extrême pour la bibliothèque (encadré)


Étant donné que l’IRDN est directement relié à l’un des principaux conduits d’égoût de la ville, le tuyau d’égout de Chiesi – du nom de son ingénieur concepteur du XIXe siècle, Flaminio Chiesi – les effets de la pression dans ce dédale de tuyaux unique peuvent être difficiles à prévoir.

Tamagnone a de suite pensé qu’InfoWorks ICM pouvait être utilisé pour évaluer les interactions 1D et 2D entre les processus de ruissellement de surface, le système d’égoûts urbains et le réseau de drainage interne, à condition qu’il puisse modéliser les nombreux bâtiments et réseaux d’égouts dans la zone IRDN avec un degré de précision de 100 %. « J’ai choisi InfoWorks ICM car j’avais besoin de créer un modèle hydraulique détaillé capable d’envisager à la fois ce qui se passe en surface et sous terre avec la propagation de l’écoulement dans les conduites. »

Fusionner des données provenant de plusieurs sources

Il a ainsi eu la chance de pouvoir débuter son travail en récupérant les modèles existants du réseau public d’égouts (PSN) directement auprès du service public régional Publiacqua, qui fut pris en charge par le partenaire Autodesk HR Wallingford. Cela a été rendu encore plus facile par le fait que ces professionnels de l’eau utilisent également InfoWorks ICM. Il a pu imbriquer de manière transparente ses modèles hydrauliques dans les leurs et tirer parti de toutes les données collectées dans ces modèles.

Tamagnone et son équipe effectuent le travail de prise de mesures et de numérisation de ces bâtiments anciens.


Il s’agissait ensuite de reconstruire l’IRDN des bâtiments historiques afin d’identifier tous les raccordements au réseau d’égoûts urbains. Bien que le modèle numérique de terrain de la ville de Florence comprenne des informations sur les zones extérieures entourant les bâtiments clés – les cours et les cloîtres – l’intérieur de ces bâtiments nécessitait un traitement médico-légal spécial. Il a donc commencé à approfondir ses recherches.

Faire du numérique médiéval

En plus d’arpenter et de mesurer les bâtiments à la main, Tamagnone a pû exploiter plusieurs archives historiques, dont le centre de documentation des inondations CEDAF, pour trouver des plans originaux. Beaucoup de dessins techniques de ces bâtiments de l’époque médiévale ont plus de cent ans, mais ils contenaient des informations utiles pour l’aider à reproduire et géolocaliser les spécifications géométriques de l’IRDN, jusqu’aux spécifications des regards et à l’altimétrie des planchers.

Tamagnone a sondé en profondeur de nombreuses archives pour découvrir des indices sur la construction originale du réseau d’égoûts.

« L’élévation est peut-être la variable la plus importante lorsque nous parlons de tuyaux et de mouvement d’écoulement », explique Tamagnone. Avec toutes ces données assemblées et numérisées, il a pu simuler avec précision toute la plage d’élévation de la région et la façon dont l’eau s’écoulerait.

Modéliser les extrêmes

Pour son évaluation des risques d’inondation, Paolo a utilisé InfoWorks ICM pour créer un modèle de drainage double 1D/2D qui simule tous les phénomènes hydrauliques se produisant dans le réseau d’égouts, ainsi que la propagation des inondations dans l’IRDN. Il a créé deux types de scénarios de base :

  • Forçage hydrométéorologique : Il a choisi de représenter les événements pluviométriques extrêmes se produisant pendant les périodes sèches, les précipitations courtes et de forte ampleur, celles qui induisent généralement des événements d’inondation pluviale. Ses hyétographes variaient de 30 minutes à 3 heures et de 60 mm/h à 400 mm/h d’intensité (entre 100 et 200 ans).
  • Déversoir fermé : Il a également modélisé des scénarii qui simulent la conjonction d’événements de précipitations extrêmes au-dessus de Florence et de niveaux d’eau élevés dans le fleuve Arno (similaire à la crue de l’Arno en 1966), ce qui élimine la possibilité que le réseau d’égoûts public puisse évacuer les eaux pluviales excédentaires par les déversoirs d’urgence.
Le forçage hydrométéorologique a été utilisé comme entrée dans le modèle hydraulique avec une période de retour de 100 et 200 ans ; hyétogrammes générés à l’aide des méthodes de tempête de Chicago (en haut) et de distribution triangulaire (en bas).


Exécution du modèle dans InfoWorks ICM

En exécutant les modèles dans InfoWorks ICM, il a pu d’abord comprendre que Flaminio Chiesi avait heureusement construit ses conceptions originales avec générosité. Le modèle a montré que les conduites de l’IRDN étaient plus surdimensionnées que prévu, presque aussi grandes que dans le réseau d’égoûts de la plus grande ville.

Le modèle InfoWorks ICM a prédit une inondation importante dans la bibliothèque.

Le modèle a montré qu’ils pouvaient gérer des événements de pluie de haute intensité. Le plus grand danger est venu dans les scénarii les plus humides avec des niveaux d’eau élevés dans le réseau d’égoûts public et des déversoirs fermés. Cela a produit un effet de remous inquiétant dans l’IRDN. Le pire endroit de ses modèles était directement sous la bibliothèque, et il prédisait le pire type de problème – les eaux usées se déversant dans le bâtiment.

L’opéra était en sécurité. Mais la bibliothèque…

Il avait aussi de bonnes nouvelles. En simulant autant de scénarii, Tamagnone a pû déterminer que le complexe de l’opéra serait épargné même dans les situations les plus extrêmes, en partie en raison de son éloignement du réseau d’égoûts public. Tous les regards étant situés à l’extérieur, seules des inondations mineures se produisent dans les cours et les parkings, sans menacer le patrimoine culturel sauvegardé à l’intérieur du bâtiment.

Les résultats d’InfoWorks ICM fusionnés avec une carte aérienne de la bibliothèque, avec une plus grande intensité du jaune à l’orange au rouge.


Mais la bibliothèque était définitivement menacée. Dans ses modèles les plus destructeurs, avec des événements pluviométriques extrêmes et un niveau d’eau élevé de l’Arno et tous les déversoirs de trop-plein fermés, le sous-sol pourrait être gravement endommagé, inondant jusqu’à 40 cm (voire plus). Pour aggraver les choses, le sous-sol s’est avéré être une zone réservée aux livres et aux collections de journaux anciens, qui sont vulnérables à l’humidité due à de petites infiltrations d’eau.

Stratégies de prévention et d’atténuation

Avec toutes ces informations en main, il a pu proposer une stratégie à deux volets dans le cadre d’un plan d’urgence documenté. Premièrement, il a proposé une stratégie structurelle consistant à construire une barrière anti-inondation pour empêcher l’intrusion des eaux pluviales, qui utilise les résultats de son modèle pour déterminer la hauteur recommandée de la barrière.

Une proposition de barrière physique pour empêcher l’intrusion pendant un événement d’inondation extrême

En outre, il a proposé une stratégie non structurelle consistant à créer des cartes des risques d’inondation pour le personnel et les administrateurs afin de mettre en évidence les zones les plus exposées et à risque. Grâce à ces informations, le personnel de la bibliothèque dispose désormais des connaissances dont il a besoin dans le cadre de son plan d’intervention d’urgence pour déplacer les collections particulièrement vulnérables vers des terrains plus élevés ou sceller les œuvres d’archives dans un type spécial de matériau étanche avec une barrière à l’oxygène.

Se préparer à un avenir climatique incertain

Les 50 dernières années ont vu plusieurs propositions pour préparer Florence à la prochaine inondation, mais elles se transforment parfois en inaction. Grâce à son travail méticuleux, Tamagnone a fourni non seulement une vaste carte hydraulique InfoWorks ICM et un modèle de toute la zone historique, mais aussi un plan de processus que d’autres doivent suivre pour s’assurer que les trésors culturels de leur pays sont en sécurité et protégés contre les inondations.

En appuyant sur un bouton, la Cène de Vasari peut maintenant être soulevée à 6 mètres dans les airs.


La bibliothèque possède sa propre collection de documentation sur les inondations, que vous pouvez visiter lors d’un pèlerinage au complexe de l’opéra pour voir la Cène de Giorgio Vasari de 1546, qui a finalement été restauréed’une bien meilleure manière en 2013, et qui est maintenant installée sur un treuil afin qu’il puisse être soulevé si nécessaire. Malgré les nombreux défis que la crue de l’Arno de 1966 a présentés à Florence, elle a également donné naissance à de nouvelles techniques de restauration et de conservation, ce qui est un autre excellent exemple de la façon dont nous pouvons relever le défi lorsque la crue arrive.

Mais, bien sûr, il vaut toujours mieux être préparé.

Aller plus loin dans l’histoire

Un grand merci à Paolo Tamagnone et au projet TALETE (Tutela del pAtrimonio cuLturale da evEnti esTrEmi) pour avoir mis à disposition ces modèles hydrauliques, plans d’époque, cartes des risques et photos de la cour. Nous incluons l’article de Paolo, qui contient encore plus de détails techniques et d’idées que d’autres peuvent utiliser pour planifier leur propre modélisation des inondations.

Lien vers l’article de Paolo Tamagnone : Protéger Florence

A propos d’InfoWorks ICM.

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