[Interview] A la découverte du BIM dans les marchés publics avec Candice Hassine, juriste, et Laurent Bidault, avocats spécialistes du droit public, du numérique et du BIM

Chers lectrices et lecteurs,

Nous avons cette semaine le plaisir de recevoir Candice Hassine et Laurent Bidault, respectivement juriste et avocat spécialisés dans la sphère publique, mais aussi et surtout le BIM et le numérique. Ils lancent d’ailleurs un ouvrage sur le sujet des bonnes pratiques du BIM dans le secteur public, notamment destiné aux acheteurs et ils ont récemment co-fondé BIM4LegalFR avec Maître David Richard, Expert reconnu du Droit de la Construction, du BIM et du numérique. Découvrons la démarche de Candice et Laurent ensemble.

Bonjour Candice et Laurent, un grand merci de venir échanger avec nous sur ABCD Blog. Pourriez-vous tout d’abord vous présenter à nos lectrices et lecteurs ?

Candice : Bonjour Emmanuel, je te remercie chaleureusement pour cette invitation et pour la visibilité que tu donnes à tous les acteurs du BIM. Actuellement, je suis associée et co-fondatrice de DB-Lab, société qui accompagne les acteurs de la construction dans leur transformation numérique à travers le développement de solutions logicielles dédiées à la gestion de l’information dans les processus BIM.

Laurent : Bonjour Emmanuel. Tout d’abord, un grand merci pour cette interview sur ton blog dont je suis un lecteur régulier et attentif.

De mon côté, je suis avocat et associé du Cabinet NOVLAW Avocats. J’accompagne mes clients, publics et privés, sur leurs projets ou problématiques en droit public des affaires (en matière de marchés publics particulièrement) et en droit de l’immobilier et de la construction. J’ai développé en outre une expertise particulière en matière d’innovation publique, qui est le croisement du droit de l’innovation et du numérique et de la sphère publique. Dans ce cadre, j’accompagne  les différents acteurs de la construction, entre autres, sur leurs opérations et les sujets juridiques liés au BIM (aspects contractuels et réglementaires, rédaction des documents contractuels, analyse des responsabilités, droit des données et de la propriété intellectuelle…). 

Candice, Laurent, quels ont été vos parcours mutuels et comment êtes-vous arrivés au numérique et au BIM ?

Candice : Après une formation juridique,  j’ai exercé des fonctions de responsable de service de marchés publics, assuré des missions de conduite d’opération et travaillé dans une entreprise générale du bâtiment. J’ai également assuré des charges d’enseignement dans le supérieur (Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Ecole des Mine d’Alès..) et dispensé des formations auprès de différents Maîtres d’ouvrage public

Mes domaines de prédilection étant le droit de la commande publique avec une appétence pour la maîtrise d’ouvrage publique,  la fiscalité, les finances publiques et  le droit des affaires.

J’ai pivoté dans le numérique grâce à Mathieu Lalanne, le fondateur de DB-Lab. Mathieu était à l’époque architecte DPLG, spécialisé dans la 3D, nous collaborions sur diverses opérations publiques  et avions une sensibilité commune pour produire des études aussi qualitatives que visuelles, nous avions déjà le souci de l’accessibilité de l’information, Mathieu avait développé dès 2010 un espace de centralisation de fichiers. En 2017, Mathieu m’a proposé de le rejoindre dans l’aventure, j’ai accepté sans hésiter, c’est la perception d’un champ des possibles infini qui a été déterminant.

Laurent : Je suis avocat au barreau de Paris depuis janvier 2014. J’ai exercé pendant plusieurs années au sein de différents cabinets d’affaires français reconnus en droit public des affaires et en droit de la construction, avant de prendre mon indépendance et de cofonder NOVLAW Avocats, avec Baptiste Robelin, spécialisé en droit de l’immobilier.

Le Cabinet NOVLAW AVOCATS est aujourd’hui composé de 6 associés, basés entre Paris et Lyon, et intervient en droit de la construction et de l’immobilier, en droit public, en droit des affaires et en droit social.

S’agissant du BIM, j’y suis arrivé de par mon appétence tout à la fois pour le droit de la construction et les enjeux liés au numérique, aux nouvelles technologies (notamment les questions de Smart City et de Smart Building).

Comment s’est faite votre rencontre et comment avez-vous décidé de collaborer ensemble ?

Laurent : Pour la petite histoire, NOVLAW Avocats s’inscrit dans la continuité d’un réseau, « Innov Law », au sein duquel nous avons créé une application permettant d’évaluer le caractère innovant d’une solution au regard des règles applicables aux marchés publics et de déterminer l’éligibilité de cette solution au “dispositif achat public innovant”. Ce dispositif (qui doit être prolongé à la fin de l’année normalement) permet aux acheteurs publics d’acquérir directement une solution innovante, d’une valeur de 100.000 euros HT maximum, sans avoir à recourir à une procédure classique de publicité et de mise en concurrence.

Candice a fait le test et nous nous sommes rencontrés ainsi ! Nos premiers échanges portaient plus généralement sur l’innovation dans la sphère publique : comment faciliter l’acquisition de solutions innovantes par les administrations, comment développer les entreprises innovantes avec la commande publique.

Et, naturellement, compte tenu de l’activité de Candice, nous en sommes arrivés au BIM et à collaborer à ce projet d’ouvrage, sous l’égide des éditions Le Moniteur, avec qui je collabore régulièrement dans le cadre de formations ou de la rédaction d’articles.

Candice, petit retour sur votre expérience. Vous travaillez dans une startup très connue des experts. Est-ce un retour aux sources ?

Candice : Disons que c’est plutôt un hommage à mon passé, j’ai toujours trouvé mon parcours plutôt décousu et aujourd’hui, c’est bien la diversité de mes expériences qui me permet d’adresser plusieurs sujets sur le BIM.

Chez DB-Lab , notre objectif est de concevoir des plateformes intégrées dans l’environnement numérique de l’entreprise pour soutenir une transformation digitale effective dans le sens où elle sert /elle reflète les aspects organisationnels et décisionnels de l’entreprise tout  en facilitant la production.  

Nos expertises couvrent trois domaines : les technologies numériques, les processus BIM et les méthodes côté métiers. C’est cette complémentarité qui nous permet de concevoir des plateformes BIM créatrices de valeur, la juste définition des attentes de nos clients est un préalable essentiel à la création de fonctionnalités innovantes certes, mais surtout utiles.

Pourquoi vous intéressez-vous tellement à ce sujet du BIM ? D’ailleurs, est-ce le BIM ou de manière plus large le numérique et les innovations du moment et du futur ?

Candice : Parce que le BIM est l’occasion d’amorcer la transformation digitale qui a un atout particulier, celui d’impliquer les opérationnels en leur permettant de repenser leurs méthodes et donc de participer activement à ce changement.

Par ailleurs, Il me semble incontournable de s’intéresser aux innovations technologiques et d’usage impactant tout le secteur de la construction. Un des challenges adressés par le BIM est relatif au temps, car il s’agit de déployer les bons outils au bon moment tout en pensant adaptabilité et évolutivité.  Pour cela, il faut être patient et apprendre des expériences de tous.

Laurent : A la fois pour les intérêts et usages dans le cadre d’une opération de construction (appréhension de l’ouvrage sur l’ensemble de son cycle de vie, réflexion en amont sur l’exploitation, gestion de l’opération) que sur les questions dans des domaines juridiques très divers qu’il implique (droit de la construction, responsabilité, droit des contrats, droit de la propriété intellectuelle, gestion des données et de l”information…). 

Vous avez une forte expérience des marchés publics et du secteur public de manière générale. Est-ce ce qui vous a incité à leur préparer ce qui risque de devenir une bible du BIM pour leur pratique quotidienne ?

Laurent : Je ne sais pas s’il s’agira d’une “bible”, mais l’un de nos objectifs, avec cet ouvrage, est de désacraliser le BIM !

Il faut dire que ce projet vient d’un constat plus général à propos du rapport entretenu par les acheteurs publics vis-à-vis de l’innovation et du numérique. En pratique, on observe une certaine réticence des acheteurs publics à recourir à des solutions ou procédés innovants pour des raisons multiples : la méconnaissance des solutions existantes sur le marché, le degré de “maturité” vis-à-vis de l’innovation, l’inadaptation des outils contractuels actuels, voire parfois une crainte vis-à-vis de la chose numérique.

Ce constat est un  peu le même s’agissant du processus BIM et des procédures et outils qui le composent, et ce alors que les acheteurs publics, qui sont les principaux donneurs d’ordre et instigateurs de projets, eu égard leurs missions et la taille de leur patrimoine, sont les principaux concernés.

Notre entreprise de “désacralisation” consiste donc à la fois à décrire les intérêts et avantages du processus BIM et de préciser les enjeux juridiques liés, cela en veillant à être le plus concret possible avec des cas d’usage, des illustrations, des exemples de clauses et de documents BIM.

De ce point de vue, il nous a paru essentiel d’intégrer des retours d’expérience d’autres acheteurs publics notamment, afin que celui qui hésite puisse constater que cela fonctionne.

Candice : Une bible je ne sais pas, mais la structuration du guide a été effectivement pensée pour un usage quotidien. Nous avons pensé qu’il pourrait être utile de combiner les étapes d’un projet de construction aux problématiques juridiques et opérationnelles du BIM. Si notre travail peut participer à l’essor du BIM dans le secteur public, nous en serions ravis.

En effet, vous sortez un ouvrage, pourriez-vous nous en parler et nous dire comment son idée est née et ce qu’il contient ?

Laurent : Bien qu’il soit toujours difficile d’être parfaitement exhaustif, nous avons tenté de balayer l’ensemble des enjeux liés au BIM et aux ouvrages publics, tout en s’inscrivant dans le déroulement de la réalisation de ceux-ci, de sa programmation à son exploitation.

En effet, en première partie, nous avons procédé à une présentation du processus BIM dans son ensemble et de l’état du droit en la matière. Dans la deuxième partie, les intervenants à un projet en BIM sont présentés, du maître d’ouvrage au BIM Manager et l’AMO BIM. La troisième partie détaille les modalités d’engagement du maître d’ouvrage dans une démarche BIM (objectifs et usages, intérêts du recours au BIM, élaboration de la charte BIM).

Dans la quatrième partie, nous détaillons les règles afférentes au droit des marchés publics, qui constitue le montage contractuel exclusivement utilisé aussi bien pour commander des prestations intellectuelles que des prestations de travaux ou de services.

La cinquième partie appréhende véritablement les différentes étapes d’un projet en BIM, son cycle de vie, c’est-à-dire l’élaboration de celui-ci jusqu’à la gestion-exploitation-maintenance de l’ouvrage réalisé, en passant par sa conception, sa réalisation et sa réception.

Enfin, la sixième et dernière partie de l’ouvrage aborde des sujets transverses induits par le BIM, à l’instar de la propriété intellectuelle, des droits liés au BIM, de la gestion des données ou encore de la responsabilité des intervenants au processus.

Est-ce un « Guide » pour aider les pouvoirs publics à prescrire, voire imposer du BIM ?

Candice : L’achat public nécessite par essence une double compétence, l’une liée à la maîtrise du secteur concerné dans sa dimension technique et concurrentielle, l’autre nécessitée par le code de la commande publique. L’introduction du BIM complexifie l’acte d’achat en incluant des aspects technologiques, de méthodes, ou encore de gestion collaborative.

Ce guide se veut une proposition pour rassembler ces “mondes”.

Donc, oui c’est une aide à la prescription, l’intégration du BIM doit s’inscrire dans un équilibre contractuel, quant à imposer le BIM, les pouvoirs publics sont libres mais également responsables de la définition de leurs besoins, étayer des obligations nécessite de maîtriser leurs conséquences (notamment pour les soumissionnaires..).

Laurent :  Nous avons effectivement envisagé l’ouvrage comme un « guide » dans le sens où notre ambition est que le lecteur puisse obtenir toutes les informations – juridiques principalement mais également opérationnelles – pour appréhender le processus BIM, en saisir les intérêts, les usages, les enjeux, ou encore les problématiques soulevées. Pour ce faire, nous avons fait en sorte de présenter les règles de droit applicables accompagnées d’extraits de clauses contractuelles, de documents d’appel d’offres, d’exemples de documents BIM (charte BIM, convention BIM, cahier des charges) et enfin des retours d’expérience concrets de la part de maîtres d’ouvrage, d’institutionnels, d’architectes et d’entreprises.

Nous espérons donc que l’acheteur disposera alors des éléments nécessaires pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’avoir recours au BIM, voire de l’imposer dans ses consultations dès lors que le recours à celui-ci s’avère répondre à son besoin, aux intérêts et usages qu’il entend retirer de son utilisation dans son opération.

C’est notamment pour cette raison que nous avons pris soin de reproduire des exemples d’appel d’offres dans lesquels le BIM était imposé.

A quoi et à qui servira votre ouvrage selon vous ? Les acteurs du public, du privé, les deux ?

Laurent : L’ouvrage s’adresse aussi bien aux maîtres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre, aux architectes, aux cabinets de conseil ou encore aux entreprises, qu’elles soient en charge de la conception, de la construction ou de l’exploitation d’un ouvrage.

L’objectif a été que chacune des parties prenantes puisse y trouver les informations utiles sur le sujet.

Par exemple, plusieurs chapitres sont consacrés à exposer la réglementation applicable aux marchés publics : ces éléments sont a priori connus des maîtres d’ouvrage, mais ils soulèvent un certain nombre de questions de la part, entre autres, d’entreprises proposant des solutions BIM peu familières du droit des marchés publics.

D’autres acteurs, s’ils maîtrisent les règles applicables aux marchés publics, saisissent encore difficilement l’impact du BIM sur celles-ci.

Candice : L’ouvrage, en tant qu’il concerne les opérations de construction publique, s’adresse, en premier lieu, aux Maîtres d’ouvrage public, initiateurs de la démarche BIM. J’espère que les acteurs privés y verront également le moyen de valoriser les processus BIM déployés. La démarche BIM tend à garantir l’excellence opérationnelle d’un ouvrage, certains acteurs y voient une contrainte supplémentaire pour pouvoir participer à la mise en concurrence mais d’autres ont réellement perçu les potentialités du BIM en termes de performance pour leur entreprise pouvant générer, par là-même, des avantages concurrentiels,

En discutant avec les différents acteurs publics, on entend souvent qu’il est difficile, voire impossible d’imposer du BIM. Quel est votre point de vue ?

Laurent : Il me paraît en effet difficile d’imposer le BIM, du moins purement et simplement, à tous les acheteurs publics, sans distinction.

En effet, il faut garder à l’esprit que de nombreux acheteurs et maîtres d’ouvrage identifient encore difficilement les avantages qu’ils pourraient tirer du processus BIM. Celui-ci n’est donc pas un besoin pour eux, ni un moyen de le satisfaire.

S’ajoutent à cela des différences et des disparités, parfois importantes, entre les acheteurs, au niveau de leur taille, leur degré de maturité, leurs compétences, ou encore l’ampleur de leurs opérations ou du leur tissu local d’entreprises.

A cet égard, selon moi, l’acheteur doit nécessairement être pragmatique dans son approche car imposer le BIM à toute opération, quelle que soit son ampleur ou sa complexité, n’a pas de sens. On peut par exemple aisément concevoir qu’il soit imposé au titulaire du lot gros-œuvre de remettre un modèle BIM, mais est-ce véritablement pertinent de l’imposer au titulaire du lot carrelage ? Pour autant, ce dernier doit participer au processus BIM mais d’une façon “adaptée”, en lui imposant par exemple de livrer les données relatives à ses prestations pour qu’elles puissent être intégrées dans la base de données de l’ouvrage.

Laurent : Le même raisonnement peut être tenu du point de vue des entreprises. Imposer le BIM sans distinction reviendrait nécessairement à exclure les entreprises qui ne sont pas compétentes ou équipées en la matière, c’est à dire souvent celles d’une taille moins importante, et on sait l’importance que revêt le principe d’égal accès à la commande publique.

Candice : Pour en terminer sur cette question et compléter les propos de Laurent, a minima sans détermination des obligations incombant à chaque intervenant, l’exercice peut être, même, source de frictions ou encore de risques. Le maître d‘ouvrage public se trouve dans une position duale, soit il a suffisamment déterminé les bénéfices du BIM et, dans la mesure où ils sont conformes à l’objet du marché, il peut créer des obligations contractuelles à ce titre et laisser jouer la concurrence, soit la démarche BIM concerne la qualité intrinsèque de l’ouvrage et de l’opération à mener, et là il paraît effectivement difficile d’imposer des changements de méthode de travail pour les opérateurs économiques qui auraient l’impression de subir une charge supplémentaire sans en percevoir la valeur.

Par ailleurs, la jurisprudence est très faible de ce point de vue. Où puisez-vous donc votre inspiration ?

Laurent : La jurisprudence est en effet très rare sur la question précise du BIM.

Cependant, en tant que juriste, il faut garder à l’esprit qu’indépendamment du processus BIM, ce dernier s’inscrit dans un cadre connu, celui d’une opération de construction, où les règles sont clairement définies pour ce qui est par exemple de la définition du rôle, des missions et de la responsabilité des différents intervenants, du déroulement des missions…

Cependant, le BIM vient influer sur ces règles, notamment en matière de responsabilité où il peut faciliter la détermination de celle-ci ou conduire à s’interroger sur celle de nouveaux intervenants à l’opération de construction comme celle du BIM Manager.

Le BIM, c’est également des interactions nouvelles entre le droit de la construction et le droit du numérique, le droit des données ou encore le droit de la propriété intellectuelle.

Si ces domaines respectifs sont identifiés, la réflexion menée depuis plusieurs années porte sur les conséquences de ces différentes interactions.

De ce point de vue, outre les textes légaux et réglementaires, nous nous sommes appuyés sur les travaux de divers organismes (la MICQP, le Plan BIM 2022, le MINnD, le Rapport Pican), sur des exemples concrets, des témoignages ou encore sur les travaux de la doctrine sur le sujet, tels que ceux notamment de mon confrère Maître David Richard.

Je profite d’ailleurs de cette interview pour annoncer la création, avec David Richard justement, d’un groupe de réflexion sur le droit du BIM, BIM4LegalFR. Nous aurons sans doute l’occasion d’en rediscuter sur ce blog.

Candice : J’ai hâte de lire les futures positions des tribunaux sur le sujet et en particulier, comment va être apprécié le processus numérique qui soutient la démarche BIM, ou encore comment la traçabilité des informations peut participer à l’imputation des différentes responsabilités ou encore au contrôle des obligations contractuelles.

S’agissant de mes sources d’inspiration, en plus de celles mentionnées par Laurent, j’essaie de comprendre les démarches au niveau international et tu fais une excellente sélection de rapports via ton blog. Enfin, chez DB-Lab, nous avons la chance extraordinaire de collaborer avec des clients d’exception. La conception de solutions logicielles passe par un travail d’analyse non seulement de la pertinence de la fonction mais également de sa capacité à être adoptée par les acteurs ou encore de son impact en termes de responsabilité sur l’opération. Je bénéficie donc d’avis, d’analyses et de retours d’expérience de personnalités à la pointe de part mon activité.

En tant que juriste et avocat, pensez-vous qu’il soit important de le rendre obligatoire pour impulser un élan au déploiement du BIM en France ? Est-ce incontournable ?

Laurent : Rendre le BIM obligatoire contraindrait nécessairement les maîtres d’ouvrage à s’y intéresser et à y recourir.

Cependant, comme déjà évoqué, nos échanges avec ceux-ci ont montré que le recours BIM (et une éventuelle obligation de celui-ci) ne peut être envisagé sans tenir compte de la diversité des maîtres d’ouvrage, de la collectivité territoriale rurale à la métropole et aux établissements publics de l’État.

On le voit d’ailleurs avec les difficultés du déploiement de la dématérialisation des autorisations d’urbanisme.

Concrètement, comment imposer le recours au BIM à une collectivité territoriale si elle ne dispose pas des moyens matériels, humains et financiers pour.

Toujours est-il qu’à l’instar de certains pays européens, je pense que ce n’est que par une forme d’obligation que le BIM se déploiera plus amplement.

Selon moi, une solution intermédiaire pourrait consister à imposer l’utilisation du BIM dans le cadre d’opérations de construction dont la valeur serait d’un montant important, en partant du postulat que ce type d’opérations est généralement réalisé par des acteurs publics de taille importante, qui disposent a priori des moyens matériels, des compétences voire de la maturité adéquate pour mener une telle opération.

En tout état de cause, une obligation – quelle que soit sa nature – devra nécessairement s’accompagner des programmes de formation à destination des acheteurs, voire des acteurs économiques locaux.

Candice : Si l’on considère que le déploiement du BIM est de nécessité publique, les pouvoirs publics disposent de deux types d’actions, soit ils déploient un dispositif super incitatif ( mais j’imagine mal une politique fiscale avantageuse pour le BIM même de nombreux dispositifs d’aides existent pour le numérique), soit ils élaborent un dispositif  juridique qui malgré son caractère impératif pourrait être accompagné d’outils propres à démocratiser, simplifier la participation de chacun sur une opération quel que soit son degré d’implication. Même si l’on peut constater un engouement sur le sujet, rendre obligatoire le BIM permettrait de donner un élan à son développement mais également aux maîtres d’ouvrage publics de rester justement en maîtrise des processus et méthodes et à terme des potentialités liées à l’exploitation des données de leurs ouvrages.

A-t-on d’ailleurs du retard selon vous en France ? A quoi cela est-il lié ?

Candice : En France, la culture du secteur de la construction est particulière, les métiers sont segmentés, il existe une vraie scission entre le métier d’architecte et celui d’ingénieur que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Quant à parler de retard, si l’on considère que la plupart des autres pays équivalents ont déjà rendu le BIM obligatoire, oui on peut valablement penser qu’en France, les décisions se font attendre.

Laurent : Cette segmentation se traduit également juridiquement où la conception et la réalisation d’un ouvrage se font par l’intermédiaire de deux contrats séparés (pour ne pas dire cloisonnés).

Et même dans certains marchés globaux, tels que les marchés de conception-réalisation, il y a très souvent une segmentation entre les membres du groupement titulaire du contrat, entre le membre en charge de la conception et celui en charge de la construction. Les métiers demeurent différents même au sein d’un même contrat.

La progression du BIM ne se fera pas sans son enseignement dans les grandes écoles, avec les futures générations qui seront porteuses de ce savoir et cette vision. Partagez-vous ce point de vue ?

Candice : De manière plus générale, il me semble indispensable que l’éducation tienne compte des changements induits par les nouvelles technologies et de leurs impacts.  Pour aller plus loin, je pense même que les aspects sociologiques, éthiques voire philosophiques des nouvelles technologies doivent être intégrés dans les programmes, il serait dommage pour les futures générations de répéter le malheureux constat que nous même faisons aujourd’hui sur le plan écologique.

Laurent : Tout à fait. Au-delà de l’enseignement, il s’agit également de former tous les intervenants du processus, et particulièrement les maîtres d’ouvrage.

En pratique, sur ce sujet comme sur ceux touchant plus généralement aux nouvelles technologies, je constate en pratique que les acheteurs publics veulent innover dans leurs achats, veulent acquérir des solutions innovantes, mais qu’ils ne trouvent pas forcément les bons outils.

C’est pour cela qu’inclure au livre des témoignages concrets de maîtres d’ouvrage et des exemples de marchés, nous paraissait essentiel.

D’ailleurs, le BIM et son enseignement devraient être intimement lié au juridique car il redéfinit les responsabilités et limites afférentes.

Laurent : Oui, il faut en effet garder en tête que le BIM est avant tout un nouveau moyen de communication entre les intervenants à une opération de construction.

Les missions et responsabilités ne sont pas modifiées par le BIM, de sorte que le régime juridique de celles-ci doit être a minima connu pour bien saisir l’impact et l’intérêt du BIM.

Candice : l’enseignement juridique dans les filières d’ingénierie me semble être indispensable et constitue un aspect important de la gestion des opérations de construction. Tous les acteurs sont sensibles aux notions de responsabilité, de risque, d’étendue d’obligations et  de limites de prestations, le tout dans une chaîne de relations contractuelles pas toujours maîtrisée.   Le BIM, dans la mesure où il suppose un partage d’informations structurées, a un rôle à jouer en termes de qualité de projet et aura une influence certaine sur le cadre contractuel en tant qu’il implique nécessairement la précision des processus de production et d’échanges d’informations.

Vous inspirez-vous de ce qui se passe à l’étranger, notamment au Royaume-Uni ?

Candice : Pas pour la réalisation de l’ouvrage qui est dédié aux constructions publiques en France. Cependant, le BIM va impacter tous les systèmes juridiques et il serait intéressant de comprendre les différentes mécaniques contractuelles développées pour intégrer le BIM et ses processus au-delà des différentes réglementations visant à l’imposer. Le Royaume-Uni est présent sur tous les fronts : normalisation, réglementation, partage de ressources,  recherche et développement de solutions et compte beaucoup d’acteurs qui font autorité. Sur le plan juridique, le travail de May Winfield est incontournable en particulier sur l’intégration des normes ISO 19650.

En tant que développeur de plateformes BIM, mes premières recherches ont porté sur les travaux de l’armée américaine et les études et évidemment sur la normalisation qui vient du Royaume-Uni avec la série PAS 1192. Depuis, il est vrai que je consulte régulièrement les études produites par le Centre for Digital Built Britain, particulièrement étayées sur le sujet des données.

La récente annonce de la DIE de lancer un site pour le BIM donne de l’espoir. Sentez-vous une évolution dans le discours, la connaissance et l’envie de BIM de la part des pouvoirs publics ?

Candice : Il s’agit même d’un espace extranet dédié au BIM dont l’accès est exclusivement réservé aux opérateurs de l’État. Cette initiative a deux avantages à mon sens : d’une part, elle constitue un point d’entrée unique de l’information et des ressources concernant le BIM, en outre,  le BIM et la problématique du parc immobilier public, d’autre part,  elle traduit une vraie conscience des enjeux liés à la maîtrise du parc immobilier public, en positionnant le BIM comme un levier des défis environnementaux. Donc oui, après une période d’acclimatation et de pédagogie autour du BIM, des concepts et autres, il semblerait que les pouvoirs publics aient une volonté d’être acteurs de la mise en œuvre du BIM,  du moins du côté des opérateurs de l’État.  Et peut-être, est-ce une étape préparatoire visant à évaluer l’opportunité de rendre le BIM obligatoire.

Laurent : Cela va dans le bon sens. Depuis plusieurs années, les travaux de certains institutionnels comme la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques, le PUCA ou encore le CEREMA participent également à cette évolution.

Juridiquement, l’entrée très récente du BIM dans les cahiers des clauses administratives générales qui sont les documents contractuels applicables aux marchés publics de travaux et de maîtrise d’œuvre est aussi un très bon signal.

Quels projets iconiques publics semblent selon vous donner une impulsion à cette vague digitale et BIM ?

Laurent : La démarche générale de la Société du Grand Paris est iconique en la matière, puisqu’il s’agit d’avoir recours au BIM pour la conception, la construction et l’exploitation des futures infrastructures de transport public de la région Ile-de-France.

Candice : Je ne citerai pas les projets sur lesquels je suis impliquée, j’apprécie particulièrement les réalisations de  la société Art Graphique et Patrimoine notamment pour Notre-Dame de Paris, dont Autodesk est également partenaire.

Le Gouvernement et les pouvoirs publics ont-t-il selon vous compris l’enjeu qui s’annonce autour de cette révolution ?

Candice : L’enjeu, notamment celui liée à la maîtrise de l’information me semble bien appréhendé comme celui à la qualité des constructions et ou encore à la performance de l’ouvrage. En revanche,  celui relatif à la transformation du paysage économique du secteur de la construction me semble plus problématique, car au-delà d’intégrer la collaboration en principe de travail, le BIM peut avoir un impact important sur la structure économique du secteur. Il devient une force stratégique sur la maîtrise des coûts mais également sur les offres de services liés à l’ouvrage bâti, ou encore même sur les principes constructifs (l’engouement pour la construction hors-site en est un révélateur) et face à un environnement économique en mutation, les acteurs publics peuvent se sentir aux prismes entre les avantages dont ils pourraient bénéficier et la volonté de permettre à tous  d’intégrer le mouvement.. Je ne sais pas si ça répond à ta question.

Notamment au travers de son Plan BIM 2022, sont-ils selon vous sur la bonne voie ou manque-t-il encore quelque chose ?

Candice : Étant généralement du côté de l’action, ma préférence va à l’accompagnement opérationnel même si le développement du BIM nécessite des efforts de vulgarisation, de pédagogie et beaucoup de communication. Il manquerait des expérimentations ciblées dont le retour d’expérience pourrait bénéficier à tous, et a minima pour les acteurs publics.

Laurent : Le Plan BIM 2022 – qui vient d’ailleurs d’être prolongé m’apparaît utile pour son travail de sensibilisation des enjeux et intérêts liés au BIM. En tant que praticien du droit, si le Guide élaboré avec la MIQCP donne des éléments et pistes intéressantes sur les aspects juridiques liés au BIM, sans doute que ces sujets devraient être traités plus en profondeur (à l’instar des travaux de MINnD).

Au-delà du public, les entreprises du privé se sont-elles d’ores et déjà organisées pour être prêtes à répondre aux enjeux juridiques du BIM ou en est-on encore loin ?

Candice : j’ai le sentiment que la phase de découverte est derrière nous et que les entreprises amorcent leur transformation, car au delà de l’implémentation du BIM pour un projet, je suis persuadée que les entreprises du secteur privé ont bien compris que le BIM était un levier de leur transformation digitale qui ne se résume pas à l’adoption de nouveaux outils ou solutions technologiques mais qui implique la refonte de leurs méthodes de production comme la recherche de nouveaux modèles économiques.

Quant aux enjeux juridiques du BIM, il me semble que les entreprises identifient deux aspects : d’une part, du point de vue contractuel, il s’agit d’identifier quelles sont les obligations et responsabilités de chacun au vu des usages BIM soutenus (il me semble bien que la coordination n’a pas la même conséquence qu’un DOE numérique), d’autre part, en tant que processus numérique collaboratif, le BIM va faire bouger les lignes en terme de traçabilité et donc de preuve. Puis à terme, l’exploitation des données issues du BIM pourra avoir un impact sur la gestion des risques liés à l’acte de construire ou encore la valorisation des actifs.

Participez-vous à des évènements pour promouvoir votre vision du BIM et juridique ?

Laurent : Chacun de notre côté, nous participons à des évènements, des rencontres, mais dernièrement – et vous n’y êtes pas étranger – nous avons lancé un groupe de réflexion sur les aspects juridiques du BIM, BIM4LegalFR, avec notamment David Richard.

Candice : BIM World sera l’occasion de donner une visibilité aux démarches engagées et aux projets menés à bien par DB-Lab

Quand et comment pourra-t-on se procurer votre ouvrage ?

Laurent : L’ouvrage est sorti le 24 novembre 2021. Il est bien sûr disponible en librairie, ainsi que dans tous les points de vente et sites habituels, notamment celui du Moniteur ici.

Y-a-t-il quelque chose de particulier que vous souhaiteriez dire à nos lectrices et lecteurs ?

Candice et Laurent : Un grand merci pour avoir pris le temps de nous lire et nous serions heureux d’avoir à connaître leurs problématiques.

Connaissez-vous ABCD Blog ?

Candice : Depuis juin 2017, au début de mon aventure avec DB-Lab. Tu donnes une visibilité qualifiée à tous les acteurs du BIM tout en relayant les études importantes. Donc, je connais, je suis et je recommande.

Laurent : J’ai découvert ABCD Blog lorsque j’ai commencé à m’intéresser au BIM. Il est une source essentielle d’information pour toute personne s’intéressant au sujet !

Laurent, Candice, un grand merci à tous les deux et nous vous souhaitons un grand succès sur la route du BIM.

Si vous souhaitez poursuivre les échanges avec Candice et Laurent, vous trouverez leurs coordonnées ci-dessous :

Laurent Bidault, Avocat au barreau de Paris
Associé Novlaw Avocats
l.bidault@novlaw.fr
https://novlaw.fr/

Candice Hassine, Juriste
DA Box
candicehassine@db-lab.io

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