Interview Responsable BIM – Episode #23 Gonçalo Ducla Soares Architecte et Spécialiste BIM chez Bouygues Immobilier : BIM or DIE

C’est toujours un plaisir d’accueillir à nouveau des personnes de grande qualité que nous avons reçues lors d’une précédente interview. Nous avons aujourd’hui cette chance avec Gonçalo Ducla Soares, Architecte et Spécialiste BIM chez Bouygues Immobilier qui a eu un beau parcours depuis sa précédente interview.

Bonjour Gonçalo, bienvenu sur ABCD Blog et heureux de t’y retrouver car nous t’avions interviewé il y a quelques mois de cela. Pourrais-tu stp nous parler brièvement de ton parcours précédent ?
Bonjour Emmanuel, le plaisir est partagé. Alors, voyons, j’ai fait des études en architecture à Lisbonne. Cependant, l’informatique m’a toujours intéressé donc, du coup, après, j’ai décidé de partir deux ans aux Etats-Unis pour faire un Master of Science au MIT. C’est là que j’ai découvert plusieurs disciplines nées de l’interface entre architecture et informatique : le Computational Design, le Generative Design, les Shape Grammars. En fait, je voulais avoir une carrière académique donc, à mon retour au Portugal, j’ai commencé à travailler à l’Université de Lisbonne où j’ai enseigné la CAO et j’ai eu l’occasion de participer à plusieurs projets scientifiques autour du Generative Design (voir images ci-après). A ce stade, je sentais que j’étais en train de prendre un chemin trop théorique. Je voulais quand même sentir le terrain. Je suis donc parti à Paris où j’ai travaillé dans plusieurs agences d’architecture jusqu’à 2017, d’abord en tant qu’assistant architecte et puis comme chef de projet. Ce fut en 2012 que j’ai vraiment connu le BIM. J’ai été formé et, étant donné mon intérêt pour tout ce qui touche à l’utilisation de l’informatique en architecture, j’ai approfondi mes connaissances sur le sujet en cumulant mes responsabilités opérationnelles avec celles de développement du BIM. J’ai été alors recruté par Bouygues Immobilier pour déployer le BIM au sein de l’entreprise.

Tu es chez Bouygues Immobilier depuis maintenant un peu plus de deux ans. Peux-tu nous parler de cette belle entreprise et nous expliquer ton rôle et tes missions ?
Cela fait effectivement maintenant deux ans que je travaille chez Bouygues Immobilier. Bouygues Immobilier est une société de promotion immobilière, c’est-à-dire qui achète du foncier, fait concevoir des projets, dépose les permis de construire, lance des appels d’offres, fait construire les projets et vend les bâtiments.

Elle s’organise autour de 4 métiers : le Logement, qui représente 80% de l’activité ; l’Immobilier d’Entreprise ; le Commerce ; et Urbanera, qui est notre marque qui développe les îlots et les quartiers mixtes.
C’est aussi une entreprise internationale : la plupart de nos opérations se trouvent en France, mais nous sommes présents également en Pologne, en Belgique et en Espagne.
Mon rôle est celui de déployer le BIM sur 100% de nos projets en collaboration avec les équipes supports et les équipes opérationnelles. Pour cela, il faut naturellement acheter des logiciels, développer des outils, définir des procédures de travail, faire de la veille technologique, sensibiliser les collaborateurs et partenaires, faire des formations, etc.

Bouygues Immobilier, sous l’impulsion de François Bertière et Eddie Woods ont lancé un manifeste BIM pour un 100% BIM en 2020. Quelles en sont les principales raisons ?
Il s’agit de notre Politique BIM Centrale. Alors, pourquoi 100% BIM en 2020 ? En fait, c’est très simple : qu’on le veuille ou pas, la transformation digitale va toucher, voire bouleverser, l’immobilier. Cela a déjà été le cas sur de nombreux autres secteurs tels que l’automobile, l’hôtellerie, la banque, etc. C’est la montée en puissance des PC dans les années 80 et l’arrivée d’internet dans les années 90 qui a déclenché énormément de changements dès les années 2000… C’est-à-dire, il y a 20 ans ! En revanche, même si les logiciels CAO existent depuis plusieurs décennies, ces évolutions informatiques n’ont pas changé de façon significative le monde de l’immobilier et de la construction. A mon avis, il y a plusieurs raisons à cela : premièrement, contrairement au monde de l’industrie, celui de la construction est très contraint par le contexte, ce qui favorise naturellement la mise en place de solutions sur mesure. Deuxièmement, dans une opération immobilière, la quantité de données à gérer est très importante et la technologie des années 80, 90 et 2000 ne permettait pas un traitement efficace de ces données, notamment en matière de visualisation. Troisièmement, il s’agit d’un monde constitué par beaucoup d’acteurs qui ne parlent pas forcément le même langage. Dernièrement, les outils CAO sont utilisés pour illustrer des projets mais ne sont pas orientés objet – la machine sait qu’il s’agit d’une ligne, un point, une hachure ou un volume, mais ne sait pas quel est l’élément constructif représenté, i.e. l’objet concerné. Les seules données exploitables sont donc des données de géométrie (cotes de point, longueurs de lignes, etc.) et pas les données métier. Or, sans un outil capable d’exploiter ces-dernières, les vrais changements enclenchés par le digital ne peuvent pas avoir lieu. Désormais, cet outil ou plutôt ce processus existe, c’est le BIM. Nous sommes fortement convaincus qu’il s’agit du catalyseur de la transformation digitale dans les métiers de l’immobilier et de la construction. Bouygues Immobilier est une entreprise qui se veut pionnière en matière d’innovation et qui tient à être la première à définir et à tracer le parcours du digital dans l’immobilier. C’est pour cela que nous nous sommes donné pour objectif d’être à 100% BIM en 2020. En réalité, aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a beaucoup d’obstacles et de difficultés et, par conséquent, nous avons reporté cet objectif d’un an à 2021.

Quelle est votre feuille de route et quels moyens avez-vous déjà mis en œuvre pour atteindre vos objectifs ?
On vient de parler de l’importance des données. La première chose que nous avons faite a été de se doter d’un espace où les stocker. Nous avons ainsi choisi une plateforme BIM du marché qui nous permet de déposer et visualiser des maquettes et les données associées. Cette plateforme est un container de données avec des fonctionnalités d’exploitation telles que la génération de quantitatifs, la création de sujets autour de la maquette et la possibilité de faire des coupes où on souhaite. Ces fonctionnalités sont très bien mais pas suffisantes pour répondre aux ambitions de Bouygues Immobilier. Du coup, en parallèle, avec notre DSI, nous avons créé un logiciel en interne qui s’accoste sur la plateforme BIM via ses API et qui exploite davantage les données déposées. Cet outil s’appelle BIM Gate (voir images ci-après). Il prend comme input les données associées aux maquettes déposées sur la plateforme et sort en output par exemple des indicateurs de performance (tels que le rendement de plan ou le pourcentage de surface vitrée), des synthèses de surfaces d’appartements et des DPGFs générés automatiquement. Tout cela est possible pourvu que le Cahier des Charges BIM de Bouygues Immobilier soit respecté. De plus, l’outil a vocation à grandir et à intégrer de nouveaux besoins. Il s’agit en fait d’un moteur qui nous permettra progressivement d’ajouter de nouvelles briques qui répondent à de nouveaux cas d’usage.
Par ailleurs, l’outil a été conçu pour être agile et, par conséquent, même si à l’origine il était destiné à être utilisé par Bouygues Immobilier Logement, actuellement il peut également être utilisé par d’autres pôles tels que l’Immobilier d’Entreprise ou Urbis, une de nos filiales, qui ont des besoins carrément différents.
Je tiens à dire que le travail de développement informatique fait par la DSI de Bouygues Immobilier est extraordinaire ! C’est un plaisir et un privilège de pouvoir travailler avec une DSI aussi efficace et créative.

Interface du portail BIM Gate – visualisation de types de surfaces métier et indicateurs de performance

Y-a-t-il une résistance interne et externe à ce grand changement ?
Absolument ! Comme dans tout changement, on peut clairement observer de la résistance… aussi bien en interne qu’en externe. Je pense que, dans le cadre de l’immobilier, il s’agit d’un problème particulièrement difficile à résoudre. Pourquoi ? En fait, la meilleure façon de démontrer à quelqu’un que quelque chose est meilleure qu’une autre c’est de lui donner des preuves irréfutables. Celles-ci peuvent consister par exemple en un retour sur investissement positif. Or, par rapport à d’autres secteurs, l’immobilier a un temps qui est particulièrement long. Du coup, avant de pouvoir reconnaître des retours sur investissement positifs, plusieurs années, voire décennies, peuvent passer. Par ailleurs, on sait tous que les projets sont complexes et pleins de variables. Donc, supposons qu’un projet en BIM se passe très bien, c’est quand même difficile de dire que cela a été le cas parce que ça été fait en BIM… Il y a trop de paramètres pour pouvoir faire une telle affirmation. En revanche, ce qu’on peut faire c’est définir des indicateurs qui nous permettront de comparer statistiquement, dans un univers significatif d’opérations, la performance des projets en BIM avec la performance des projets en mode traditionnel. Cette comparaison peut constituer une preuve irréfutable, mais c’est sûr que, si on parle statistiques et immobilier, ce n’est pas du jour au lendemain. Il s’agit d’un secteur où la notion de « quick wins » est très difficile àmettre en place, et pourtant, cette notion est indispensable dans toute démarche de conduite du changement.

Quelle est votre organisation interne en ordre de marche pour ce challenge ? Je crois que vous avez notamment le concept de BIM Champions ?
En effet. L’idée c’est de décentraliser la démarche pour que le changement se fasse de façon organique et naturelle. Eddie Woods notre Chief Technical Officer parle d’une démarche bidirectionnelle : top-down et bottom-up. Il y a une équipe centrale, dont je fais partie, qui définit la stratégie BIM, établit la politique centrale BIM, fait de la veille technologique, fait en sorte d’embarquer la Direction Générale, fait des POC (Proof of Concept), etc. Cette équipe s’appuie sur des équipes BIM métier (Immobilier d’Entreprise, Logement, Pologne, etc.) qui, à leur tour, s’appuient sur des collaborateurs opérationnels identifiés en tant que BIM Champions ou Référents Régionaux BIM. Ces collaborateurs, étant opérationnels, c’est-à-dire qui travaillent en tant que maîtres d’ouvrage sur des opérations courantes, sont de vrais ambassadeurs internes du BIM qui, quelque part, ont plus de légitimité que l’équipe centrale pour déployer le BIM sur des projets. C’est justement parce qu’ils sont opérationnels et confrontés quotidiennement aux problèmes courants qu’ils ont plus de légitimité auprès des équipes terrain.

Comment réagit votre écosystème ? Se dirigent-ils facilement et sereinement vers cette voie du BIM ?
Facilement et sereinement, non. Il y a encore beaucoup de prestataires qui essaient de nous facturer une prestation BIM. Si on se met à leur place, et si on ne considère que le court terme, c’est compréhensible. Ils le font parce que, pour eux, les premiers projets en BIM sont synonymes de coûts supplémentaires : achat d’équipement, abonnements logiciels, formation et temps de production plus long au début. Mais, ce qu’on voit, c’est que les cabinets qui ont plus de 3 ans d’expérience en BIM ne valorisent plus cette prestation. Pourquoi ? Parce que, pour eux, le BIM est devenu la base. Ils en extraient de la valeur, indépendamment des demandes de la maîtrise d’ouvrage. Ils font des mises à jour plus rapidement, ils ont une meilleure maîtrise et vision du projet, ils sont sûrs d’avoir des documents cohérents, etc. Donc, nous, Bouygues Immobilier, considérons que les coûts supplémentaires engendrés lors des premiers projets constituent en réalité un investissement qui aura à terme un retour positif si leur management le gère bien. Cet investissement leur permettra de continuer à exister demain, lorsqu’on ne parlera plus de BIM parce que ce sera le standard. C’est un peu brutal mais je pense qu’on peut vraiment dire « BIM or DIE ». Pas parce qu’on est « méchant », mais parce que, quoi qu’il arrive, la transformation digitale se fera. C’est une certitude.

Comment leur facilitez-vous la vie ? Vous avez notamment lancé un kit BIM et des MOOCs il me semble ?
Comme indiqué dans la réponse à la dernière question, on pousse nos prestataires à se mettre dans une démarche BIM, mais on ne prend pas en charge les investissements que seuls eux doivent faire. En revanche, comme vous le dites, on leur facilite la vie. Tout un environnement propice au développement du BIM est mis en place sur chaque projet : plateforme numérique ; maîtrise d’œuvre BIM compatible ; présence d’un BIM Manager qui a, entre autres, la responsabilité d’épauler de façon pédagogique les partenaires pour tout ce qui est production ; tutoriels en ligne (voir image ci-après) ; cahiers des charges BIM et conventions BIM pour les différents pôles ; collaborateurs qui sont sensibles à la difficulté de la mise en place du BIM ; présence de nos BIM champions. Tout est fait pour que nos prestataires aient les conditions idéales pour s’approprier la démarche.

Tutoriels en ligne mis à disposition des collaborateurs, partenaires et prestataires

Quelles sont les étapes futures ?
Nous sommes très sensibles à la notion de user-friendliness. On veut que le BIM demandé par Bouygues Immobilier soit user-friendly pour ceux qui doivent modéliser. Sinon, le risque c’est que l’on n’arrive pas à embarquer toutes les parties prenantes. Nous sommes conscients que certaines de nos demandes sont encore trop complexes, notamment en ce qui concerne le nommage des objets. Donc, une étape future cruciale consiste en la simplification des cahiers des charges (voir image ci-après) de façon à ce que nos prestataires n’aient pas plus de travail que ce qu’ils auraient normalement.

Cahier des charges BIM d’Urbis, filiale de Bouygues Immobilier – total de 14 pages

Vous êtes leaders et uniques en ce sens. Est-ce dur de « tracer » la voie du digital ?
J’ai envie de dire oui, c’est assez dur. Comme tu dis, il s’agit de « tracer » la voie du digital et non pas de suivre la voie du digital. Cette voie n’existe pas encore, on est en train de la créer. Il n’y a pas de vérité absolue sur comment cela devrait être. On développe, on teste, on évalue si cela a marché ou pas, on garde et on améliore ou on remplace. Par conséquent, « tracer » implique forcément accepter des échecs, ce qui génère de la frustration. Donc, oui, ça peut être dur, psychologiquement, économiquement…mais c’est aussi ce qui nous permet d’apprendre et de vraiment faire en sorte que la transformation digitale se fasse.

Dans cette recherche constante d’optimisation et d’accélération de la construction, explorez-vous de nouvelles pistes telles que l’industrialisation de la construction ?
Je pense que c’est dans l’industrialisation de la construction que le BIM sera vraiment créateur de valeur pour un promoteur tel que Bouygues Immobilier. Oui, on les explore et on essaie de comprendre les liens envisageables avec le BIM. Cela étant, nous sommes promoteurs, donc par définition, on ne produit rien. Ce sont les architectes et les ingénieurs qui font les projets, ce sont les sociétés de communication qui font les supports de commercialisation et ce sont les entreprises qui construisent. Pour une industrialisation de la construction, il est impératif que ces dernières travaillent dans une logique d’industrialisation (transfert direct des données de la conception vers la réalisation, fabrication hors-site, construction modulaire, etc.). Le problème c’est que, à présent, en France, il n’y a pas énormément d’entreprises qui le font. Nous sommes donc en quelque sorte bloqués par le marché, mais quand on regarde ce qui se passe au Royaume-Uni avec la construction modulaire et surtout aux Etats-Unis avec le Design for Manufacturing and Assembly de Katerra, qui est en train de créer une vraie révolution dans la construction, je suis prêt à parier que bientôt cela arrivera en Europe et en France. De la même façon qu’Uber et AirBnB ont disrupté le monde des taxis et le monde de l’hotellerie, je suis profondément convaincu que ce sera le cas dans la construction avec des acteurs comme Katerra.

Eddie Woods parle souvent de l’importance de la donnée et de sa structuration. Peux-tu nous en dire un peu plus stp ? Comment cela se concrétise-t-il dans les faits ?
En fait, pour que nous, en tant que maîtrise d’ouvrage, puissions capter de la valeur dans le BIM, il est indispensable que la qualité des données saisies soit assurée. Je m’explique, les maquettes numériques intelligentes ont un potentiel énorme pour un maître d’ouvrage : calcul automatique d’indicateurs à partir de surfaces, alertes automatiques par rapport à des pièces trop petites, génération de DPGFs et CCTPs, etc. Tout ceci peut nous faire gagner du temps et nous aider à mieux maîtriser nos projets. Or, « automatique » signifie que, du côté du maître d’ouvrage, des systèmes d’interprétation des maquettes doivent exister. Ces systèmes doivent pouvoir lire les maquettes et le contenu des propriétés respectives, c’est-à-dire les données. Pour que l’interprétation puisse se faire, il est indispensable que ces données soient conformes à une classification. Par exemple, si on souhaite calculer automatiquement un indice tel que le rendement de plan (SHAB/SDP), le système doit reconnaître les pièces qui font partie de la SHAB. Ceci peut être fait en créant une propriété de pièces qui s’appelle SHAB_PIECE dont la valeur est OUI/NON. Le système peut alors faire la somme des surfaces de toutes les pièces dont la valeur du paramètre SHAB_PIECE est OUI. Par contre, si nos prestataires ne créent pas ce paramètre, ou s’ils ne saisissent pas son contenu, nous nous trouvons dans l’incapacité d’exploiter les maquettes par manque de qualité des données. Il est donc indispensable, premièrement, que nous, en tant que maître d’ouvrage, communiquions clairement aux partenaires quelles sont les données dont on aura besoin. Après, nous devons nous assurer, avec l’aide de nos BIM Managers, que les données attendues sont bien présentes dans les maquettes. Finalement, c’est important qu’on aide nos architectes et ingénieurs à garantir la qualité des données. Ceci est un point crucial ! Comment peut-on le faire ? Je vous ai donné l’exemple de la SHAB. Mais, comme la SHAB, il y a un grand nombre d’indicateurs qu’on souhaite exploiter et qui doivent se baser sur le nom des pièces. On sait que quand la pièce s’appelle Séjour, elle doit être comptabilisée dans la SHAB et dans la Surface Privative, mais pas dans la Surface Annexe ou dans la Surface Commune. Il faut donc que notre système reconnaisse le mot « Séjour ». Le problème est que les chances qu’un architecte oublie la majuscule ou l’accent ne sont pas négligeables. Par conséquent, ce que nous sommes en train de faire c’est de fournir à nos prestataires un fichier avec des nomenclatures à importer dans leur fichier de travail pour que tous les paramètres de Bouygues Immobilier soient attribués aux différents objets concernés (voir image ci-après). De plus, par le biais de nomenclatures de clé, on leur donne la possibilité de choisir les pièces dans un menu déroulant plutôt que de les saisir à la main sur des champs vides. Ceci non seulement nous garantit la qualité des données, mais constitue également de la valeur perçue pour les architectes parce que c’est plus simple de choisir un mot dans un menu que d’écrire toutes les lettres de ce mot dans un champ. On espère ainsi embarquer notre écosystème tout en réglant les problèmes de la maîtrise d’ouvrage. Ceci fait partie de ce que Eddie Woods appelle Better Information Management.

Propriétés préremplies dans une maquette d’Urbis, filiale de Bouygues Immobilier, suite à l’import des nomenclatures de clé fournies avec le cahier des charges BIM

La conception te manque-t-elle ou était-ce un rêve pour toi de basculer dans la maitrise d’ouvrage pour prendre en charge une mission aussi belle et noble ?
La conception telle que j’étais en train de la faire avant de venir chez Bouygues Immobilier ne me manque plus. D’ailleurs, les derniers temps que j’ai passés en agence d’architecture, je m’occupais plus du BIM et de son déploiement que des projets à proprement dit. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que, en tant que membre d’une maîtrise d’œuvre, on a beau avoir la meilleure volonté du monde et faire des efforts pour utiliser le BIM pour mieux définir les projets, la réalité c’est que si les partenaires ne jouent pas le jeu, ça ne sert pas à grand-chose. Le BIM étant une forme de travail qui se base sur la collaboration, il faut que tout le monde joue le jeu sinon c’est du « non-BIM ». Du coup, en tant qu’architecte, j’avais par exemple énormément de mal à dire à des BETs qu’il fallait faire des modélisations complètes plutôt que des dessins de principes tels qu’ils étaient habitués à faire. L’argument récurrent était systématiquement « on est pas payé pour ». Face à des arguments de ce type, les seuls qui sont en mesure de faire face sont les maîtres d’ouvrage. Au niveau global de l’industrie, la force de frappe des architectes est en fait très limitée. C’est, entre autres, pour cela que j’ai décidé de basculer dans la maîtrise d’ouvrage : je voulais être là où je pouvais vraiment contribuer à un changement.

Vous faites un travail extraordinaire pour le secteur de la construction en France. Collaborez-vous aussi avec les autorités publiques ?
Pas vraiment, ou en tout cas, pas de façon formelle et active. Bouygues Immobilier est membre de Mediaconstruct, le chapitre français de buildingSMART, mais pour l’instant nous n’avons pas vraiment de collaboration dans ce cadre.

Tu es un témoin éclairé depuis de nombreuses années de l’évolution du secteur et de sa digitalisation. Quel regard et analyse portes-tu en 2019 sur cette évolution ?
Merci pour le compliment. Je pense que depuis 2015 en particulier, il y a eu énormément d’évolutions, notamment en matière de sensibilisation. Désormais, il est accepté que le BIM est, ou sera à un moment donné, incontournable. Ceci ne veut pas dire qu’à présent tout le monde s’y met. Il y a toujours pas mal de sociétés qui se disent « on s’y mettra lorsque les choses seront plus concrètes »… Cela étant, il faut quand même souligner le fait qu’il y a de nombreux architectes, ingénieurs et entreprises qui font des choses magnifiques. Je pense qu’en 2019, on peut finalement dire que la transformation digitale dans le monde du bâtiment a effectivement démarré. Pourquoi ? Pas parce que telle ou telle technologie a été mise en place, mais parce que les pratiques et procédures commencent à évoluer suite à cette mise en place. Je pense par exemple au fait qu’on voit de plus en plus de BET, en phase APS, faire des modélisations complètes de leurs projets, ce qui permet d’anticiper la présynthèse (voir image ci-après). Il y a certes encore un long parcours devant nous, mais au moins la transformation a démarré.

Maquette fluides en phase APS dans un projet tertiaire de Bouygues Immobilier

Tu reviens d’un voyage à Autodesk University. Qu’as-tu constaté de l’évolution des technologies et pratiques à l’étranger dans cette grand-messe des professionnels de l’AEC ?
J’ai le sentiment que les américains ont 2 ou 3 ans d’avance sur nous. En France, à mon avis, on parle encore beaucoup de l’intégration de l’ensemble des données dans la maquette. On pense que la maquette est potentiellement la concentration de tout. Qu’est-ce que je veux dire par cela ? J’illustre par un exemple : on croit encore qu’il est possible de demander à un économiste de reporter correctement tout le contenu de son travail dans une maquette architecte, c’est-à-dire, de demander à un métier, qui a une logique spécifique d’organiser l’information qu’il produit (dans le cas de l’économiste, il s’agit d’une logique orientée CCTPs), de s’adapter pour que cette information rentre dans une logique orientée modèle. Or, dans la plupart des cas, ce sont des logiques assez différentes et pas forcément compatibles. Je suis profondément convaincu que cela ne marche pas ! Le problème c’est qu’il s’agit d’un paradigme qui suppose que les métiers doivent s’adapter à l’informatique, à la technique. C’est difficile, voire impossible, de créer de l’adhésion comme ça.
A Autodesk University, j’ai pu constater que le paradigme a clairement évolué. Plutôt que de s’axer sur l’injection de données à tout prix dans la maquette, la réflexion se centre davantage sur le développement d’outils tiers qui lient les données de la maquette numérique à des applications métier, laissant ainsi la possibilité aux différents intervenants de continuer à exercer leur métiers de la meilleure façon tout en s’intégrant dans une démarche BIM. Ceci ne veut pas dire que le digital ne doit pas faire évoluer les métiers. Ceci veut tout simplement dire que, dans le monde du BIM, on commence finalement à comprendre que, pour faire évoluer les métiers, il est indispensable que de la valeur soit créée pour les personnes et pas pour les outils. C’est une erreur d’espérer que de la valeur soit créée en façonnant les usages à la technologie.

Voudrais-tu dire quelque chose de particulier à nos lecteurs en conclusion ?
Oui, la transformation digitale vient de démarrer dans l’immobilier, secteur dont fait partie la construction, l’architecture, l’ingénierie, etc. Dans d’autres secteurs, cette transformation a commencé il y a deux décennies, voire plus, et, malgré cela, elle est toujours en train de se dérouler. Ce n’est donc pas réaliste de penser qu’un jour on pourra dire « voilà, la transformation est faite, maintenant concentrons-nous sur d’autres choses ». Il y a de plus en plus d’outils numériques et ceux-ci évoluent de plus en plus vite. Il faut donc qu’on accepte que la normalité c’est d’être justement en constante transformation. … et, de toutes façons, ce n’est pas comme si on avait le choix… soit on y va, soit on disparaît ! Regardez tout simplement ce qui est arrivé à des entreprises qui ne se sont pas préparées ou remises en question. Par exemple, Sears (qui est un des plus importants grands magasins américains et qui a inventé la carte de crédit !), entreprise jugée stable, a été frappée de plein fouet par la transformation digitale dans son secteur. Elle était estimée à 14,3 milliards de dollars en 2006 et est passée à 0,9 milliards de dollars en 2016 avec l’arrivée d’Amazon, qui, lui, est passé respectivement de 17,5 milliards à 820 milliards*. On pourrait citer n autres exemples de dévalorisation : les hôtels avec l’arrivée d’AirBnB, les taxis avec l’arrivée de Uber, la téléphonie avec l’arrivée de Skype, ou les bibliothèques/librairies avec l’arrivée de Google. Dans le Bâtiment, c’est peut-être Katerra qui prendra le dessus,… je ne sais pas, mais dans tous les cas, ne nous faisons pas d’illusions, le Bâtiment n’échappera pas, il sera disrupté ! Donc, allons-y et transformons la menace en opportunité… mais pour cela, il faut accepter que le BIM est, et sera, à la génèse des grands changements qui s’annoncent pour l’immobilier. Peut-être pas le BIM tel que l’on connaît aujourd’hui, mais sous une forme ou une autre, le BIM.

Cher Gonçalo, un grand merci pour ces échanges passionnants. Que de bouleversements en perspectives. Bravo pour toute ton implication dans cette transformation digitale, ainsi que Bouygues Immobilier. Nous avons hâte de voir cette transformation s’accélérer.

*Ces informations proviennent de la keynote presentation de Peter Diamandis à Autodesk University 2018, Las Vegas.

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